Le vide en soi n’arrive pas par hasard au cours de la vie adulte. Il naît le plus souvent pendant l’enfance après un événement terrifiant comme le décès d’un parent, d’un frère ou d’une sœur, d’un référent, ou encore d’avoir eu à vivre la séparation d’un être cher dans un contexte violent et sans sens donné. Il peut venir aussi d’un terrible manque d’attention et de tendresse, d’un sentiment d’insécurité et d’un manque de soins dus à un contexte de précarité, d’un sentiment de rejet, d’un déracinement ou encore du déchirement d’être remis entre les mains d’autres comme pour dire : « plus envie de toi », « pas possible avec toi », « trop difficile », « trop compliqué », « c’est pas le moment pour toi » …
Abandon et rejet sont des sentiments qui peuvent paraître proches et pourtant trouvent leurs racines dans des contextes tout à fait différents. Dans les deux cas, le sentiment laisse un grand vide en soi et une souffrance parfois inconsolable.
Le vide en soi, c’est cette impression de ne compter pour personne, ou de n’avoir plus personne pour qui être précieux, ou de ne pas avoir sa place (ou de place) au beau milieu de personnes bien mieux que soi et qui occupent toute l’attention, déjà.
Le vide en soi, c’est le néant laissé, avec la rupture, le départ et le détachement pour toujours, ressentis par celui qui les subit ou celui qui les provoque.
C’est une blessure qui s’aggrave dans le temps et qui grandit avec les événements qui résonnent encore et encore une fois, pour remettre à jour les émotions de cet instant t, tombé dans l’amnésie ou, au contraire, qui ne peut quitter le regard intérieur.
Le vide en soi provoque un terrible mal-être physique et psychologique, dont il est impossible souvent de parler. On s’habitue à vivre avec, sans oublier, et donc surtout en se rappelant le « plus jamais ça ! » qui influence les décisions et choix permettant de ne plus jamais être abandonné, mis de côté, oublié, et mal aimé.
Le vide en soi, c’est l’espace disponible qui attend d’être rempli de tout ce qui nous correspond. Mais comme la quête perpétuelle de celui qui souffre d’abandonnite est de se sentir SECUR, apprécié, considéré et reconnu, peu de conscience est posée au jour le jour pour s’accompagner soi-même à l’autonomie affective et faire quelque chose de concret de sa valeur.
L’abandonique a l’impression de ne penser qu’à lui et pourtant ses yeux ne sont rivés que sur les autres et les situations. Il s’oublie et se renie par ses agissements et ses peurs. Il est fait de paradoxes : soit il se fige dans l’isolement pour éviter de souffrir à nouveau, soit il devient dépendant de l’autre, pensant que sa survie en dépend.
Le vide en soi est ce qu’il reste après avoir eu besoin de donner du sens à ce que l’on vit pour expliquer le sentiment d’abandon, alors même que personne n’aura expliqué le réel contexte ; situation qui laissera toute la vie durant un profond doute, comme la conviction d’avoir à se battre en permanence contre son mal-être intérieur provoqué par les questionnements, et qui donne à la vie un goût de perpétuel combat.
Même sans le mot, l’angoisse circule.
L’enfant abandonné a une histoire qui ne peut être annulée. La banaliser serait faire basculer la personne dans le néant, comme si elle était inexistante à tout jamais.
L’enfant qui s’est imaginé n’être pas suffisamment aimé et d’avoir cette impression de ne compter pour personne, rencontre un mal de chien à se défaire de cette idée, une fois devenu grand.
L’adulte laissé sur le bord de la route pense que le ciel lui tombe sur la tête, alors qu’en creusant bien, c’est uniquement la suite de l’histoire qui se joue et se renforce.
On se soucie peu de celui qui abandonne par choix, par nécessité ou forcé, alors que le tracé de son histoire est marqué par un point, suivi de pointillés.
Qu’on abandonne ou qu’on le soit, refouler la vérité de son histoire, ou ne pouvoir en avouer que la partie recevable par soi et le regard des autres, permet de construire un sens, alors même que pour y voir plus clair et comprendre et se reconstruire, l’abandonné part sur le chemin de sa vérité avec frayeur mais courage. Même en sachant, parfois, il n’en dira rien préférant l’ombre à la lumière qui brule.
Combattre un mal intérieur par un autre mal : savoir la vérité, la taire ou peut-être la dire enfin ; trouver le courage de se reconnecter à l’émotion originelle, non exprimée et qui est la clé pour comprendre et sortir de la souffrance. Oui, il faut donc souffrir pour en sortir. Le travail sur soi est tout un chantier. Mais quand la culpabilité, les regrets, les remords et la honte occupent la place, il ne reste guère autre chose à faire que de composer avec la peur, l’angoisse, et la profonde tristesse… et ensuite, par amour pour soi, prendre encore un peu sur soi, et se donner la chance d’en sortir enfin.
À un moment donné, dire « STOP », ça suffit ! Je veux sortir de là et me remplir de qui je suis, trouver ce fil conducteur qu’est ma ligne de vie, et accrocher au passé, le fil du présent que je souhaite, et de l’avenir que je dessine pour être moi, et me dire que c’est terminé le temps d’imaginer de « ne pas mériter » ou que « tout est danger ».
Il est temps de reprendre le pouvoir à soi, même si un jour quelqu’un d’important pour moi a décidé de me laisser au pouvoir d’un autre.
Toutes nos histoires sont différentes même si le processus qui amène à ressentir tant de vide en soi repose sur des contextes différents et des verbes comme : quitter, cesser de s’occuper, rejeter, exclure, écarter, ignorer, repousser, éjecter, délaisser, négliger, se désintéresser… Et donc laisser sans soin, sans attention, sans protection, sans accompagnement, sans encouragement, sans sens… Et donc sans amour.
L’abandon n’a rien à voir avec une émotion qu’il convient de gérer ou laisser passer. C’est un sentiment, un mal profond qui mal supporté amène à la dévalorisation de soi, au manque de confiance, à la peur de perdre, à la perte de points de repère, au repli de soi, au sacrifice, à l’incapacité de voir au loin ou de savoir quelle direction prendre. C’est un sentiment qui pousse à la manipulation et à l’agressivité comme unique solution aux pleurs qui veulent exprimer l’angoisse du cœur qui sert, et la terreur de n’avoir droit ni à la liberté d’être, ni à l’amour inconditionnel, ni à la sérénité.
« Si seulement les autres pouvaient m’aimer mieux, ça irait tellement mieux pour moi ! »… « Quand les autres me comprendront mieux – Quand j’aurai perdu vingt kilos – Quand je serai sorti de cet état dépressif – Quand j’aurai un nouvel emploi – Quand j’aurai avancé dans mes projets – Quand je pourrai pardonner – Quand j’aurai résorbé mon découvert – Quand les enfants seront grands – Quand je n’aurai plus peur – Quand j’en aurai fini avec la cigarette et l’alcool – Quand je n’aurai plus tous ces soucis avec mes parents âgés – Quand je pourrai oublier tout ce qui s’est passé – Quand j’aurai la solution à mes problèmes – Quand je serai certain d’être sur la bonne voie – Quand ce sera plus calme dans ma tête – Quand j’aurai le temps – Quand je serai libre de l’emprise de ma mère – Quand j’aurai fini de me poser mille questions – Quand les autres me reconnaîtront – Quand mon père acceptera de me voir – Quand mon boss se rendra compte de tout ce que je fais… Quand, quand, quand ! »… Toujours une bonne excuse pour s’abandonner soi-même et repousser le moment de commencer à s’accueillir, se respecter, se connaître, s’affirmer, se reconnaître, et être le garant de l’amour de soi, l’épanouissement et la réalisation de l’être que je suis.
Combler le vide en soi est un travail que seul « je peux faire pour moi » : de soi pour soi, accompagné dans certains cas, ou pas.
Les enfants et les adultes, profondément perturbés et dont j’évoque des bribes d’histoires dans ce livre, vont peut-être éveiller en vous une résonance, une explication, une piste, des prises de conscience, un démarrage pour autre chose.
Se raconter ou écouter le récit d’autres histoires de vie ou métaphores ouvre la porte au « comprendre », si nécessaire pour atteindre la phase d’acceptation et de transformation de soi.
Peut-être serez-vous touché, ému, en larmes ou parfois soulagé à la lecture de ce livre. C’est ça aussi le vide ; la possibilité de remplir. Et si, pour l’instant, cela doit passer par les larmes, quel beau cadeau vous vous faites : celui de la libération.
© Geneviève Krebs, Extrait de l’introduction du Livre “Combler ce vide en nous”, paru le 7 novembre 2019 chez Eyrolles