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LE FONCTIONNEMENT DU DÉPENDANT AFFECTIF INSÉCURE REPOSE SUR LA CULPABILITÉ

Depuis son enfance, des événements ou des référents lui font remarquer qu’à cause d’elle, ceci ou cela de grave se passe. Qu’elle n’est pas comme les autres souhaiteraient qu’elle soit et donc pas à la hauteur. Et lorsque l’histoire ne s’est pas jouée ainsi, c’est l’enfant qu’elle a été qui s’est imaginé sa culpabilité et ne cesse ensuite de rejouer le même scénario. «Qu’est-ce que j’ai encore fait?» est une question en sourdine qui apparaît au moindre tracas dans son entourage, que cela la concerne directement ou pas. Si bien que lorsque la violence apparaît dans le couple, sa première réaction est de se remettre en question, car si la relation en est arrivée à ce point, c’est forcément de sa faute.

Ce fonctionnement qui repose sur la culpabilité rend la femme dépendante affective insécure, vulnérable. La culpabilité lui fait ressentir un mal-être permanent. En prenant tout pour elle, elle accepte comme une vérité lorsque son conjoint violent l’accuse à tort d’une situation, faisant par la même occasion réapparaître une blessure d’injustice. Sans pouvoir relier dans les faits la réelle culpabilité, du fait de la faible estime qu’elle a d’elle-même et de son passé, elle est convaincue d’être responsable. La fatigue, l’hypersensibilité, les complexes, le sentiment d’infériorité et surtout les culpabilités anciennes laissées en l’état, sont des éléments qui prédisposent à se sentir concerné par tout, comme si tout tournait forcément autour de soi.

Le sentiment de culpabilité est toxique. Il est non seulement dangereux pour la santé, mais il représente une faille dont le conjoint violent sait se servir comme d’un levier pour prendre pouvoir et possession de sa partenaire dépendante affective. Il veut la dominer et sait comment s’y prendre, en lui faisant des reproches, en la blâmant et en exprimant sa supériorité face à elle qui ne le mérite pas. Ses paroles humiliantes et accusatrices qui tournent en monologue finissent par l’achever psychologiquement. C’est alors qu’elle ne remet plus l’autre en cause, mais elle.

Au début de la relation, souvent la femme riposte, cherche à se défendre, à se justifier. L’un et l’autre rivalisent d’arguments et mènent des échanges qui se transforment en un monologue moralisateur destiné à rabaisser encore la partenaire. Cette tactique est là pour lui rappeler combien se frotter à la faute et la culpabilité fait mal, et donc combien il sera important d’éviter que cela ne recommence. L’emprise, petit à petit, commence.

On observe le rôle que la culpabilisation joue dans le cycle de la violence. Quand bien même l’im- pardonnable se produit, la faute repose sur la victime. « Regarde ce que tu m’as obligé à faire ! » « Je n’avais pas le choix, tu as tout fait pour que je me mette très en colère après toi. » Il existera toujours une bonne raison d’avoir commis l’irréparable : désobéissance, honte provoquée, comparaison à quelqu’un d’autre de mieux, déception qu’elle ne soit pas la femme qu’il pensait « avoir », etc.

Le dépendant affectif pris dans les filets de la manipulation par la culpabilisation est encore connecté à son passé. Les souvenirs, les regrets et les remords sont encore présents. Ils viennent se heurter aux tentatives de l’adulte en soi de vouloir raisonner, analyser objectivement et factuellement. Les conséquences du passé remontent alors pour ne laisser que le souvenir des erreurs, des échecs, des rendez-vous manqués, des fautes commises, des maladresses qui ont causé des tracas et du chagrin.

Par ces situations du passé non résolues, le dépendant affectif accepte de prendre sur ses épaules la responsabilité de l’autre à être violent, et même la nécessité à l’être, comme un bourreau missionné pour punir un coupable. À la différence près qu’ici, la grande porte de la prison ne s’ouvre jamais pour le jour de la libération… du moins tant qu’un travail sur la culpabilité n’a pas été mené.

L’enfant qui n’a connu de ses parents que l’échange construit sur l’injonction et la critique pense très sérieusement que la relation à l’autre ne peut se faire qu’ainsi. Il s’est habitué aux « il faut que», «tu dois», «regarde-toi», «qu’est-ce qu’on va faire avec toi?», «tu es une catastrophe», «qui voudra de toi?»… et ne sait pas à l’âge adulte les repérer comme un langage inapproprié et insultant. Dans son for intérieur, il pense que ces remarques sont justes et méritées. Elles sont là parce qu’il n’est pas à la hauteur.

Le pervers qui repère ce dépendant affectif prend un malin plaisir à le contredire, le déstabiliser, le manipuler et jouer de chantage avec lui. Il sait que celui-ci n’aura pas l’idée de se manifester ou de poser des limites. Au contraire, il se demandera ce qu’il a fait pour que ces situations arrivent. Tout au plus, il pleurera et se victimisera tout en restant dans le questionnement, en mentalisant et analysant les scènes pour trouver sa faute. Et s’il ne l’identifie pas (forcé- ment puisqu’elle n’existe pas), il se rappellera encore et encore toutes les fois par le passé où d’évidence il a été coupable. À nouveau, ce qui arrive est de sa faute parce qu’il est convaincu que décidément, c’est plus fort que tout : il n’est pas à la hauteur ! Il lui arrive même de penser qu’il porte malchance.

D’histoire en histoire où la culpabilité se pose sur lui, c’est à chaque fois une réactivation de tout son système de dépendance qui se renforce et qui le fragilise encore davantage.

Le dépendant affectif insécure pense que s’il était quelqu’un d’autre que LUI, plus ci ou moins ça, il serait plus aimable et respecté. Et qu’il est normal de perdre patience auprès d’une personne comme lui. Il se considère si peu aimable et respectable qu’il se demande encore comment une personne telle que son conjoint a pu s’intéresser à lui et vouloir rester avec lui. Il est de ce fait convaincu que si la relation venait à rompre, jamais plus il ne retrouverait une autre personne qui pourrait l’aimer. La simple idée de la rupture le tétanise. Car derrière cette rupture, il y aurait le vide et la solitude et donc l’incapacité à pouvoir se prendre en charge, seul.

Il se désole d’être comme il est et acquiesce à l’affirmation de son conjoint violent qui lui dit mériter ce qui lui arrive. Craignant que la situation ne se dégrade encore plus et dégénère vers de la violence physique, le dépendant affectif insécure évite toute situation qui pourrait contrarier son conjoint.

Plus sa culpabilité est rattachée à un événement ou une perception grave, plus le sentiment de devoir être puni est important. « Je ne mérite pas. Ça n’est pas fait pour moi» fait que le dépendant affectif pose ses choix sur des personnes et des situations qui l’amèneront à la souffrance et à l’échec. C’est ainsi qu’il accepte l’inacceptable, pensant ne mériter que cela, et certainement pas l’équilibre, le respect et l’amour. Il ne sait d’ailleurs pas à quoi cela correspond, lui dont la seule mission est d’être responsable du bonheur de l’autre. 

Jean-Claude Maes, psychologue, écrit : «On tend à confondre statut et sentiment de culpabilité : on peut être coupable et ne pas se sentir coupable de ce qu’on fait, comme on peut se sentir coupable d’un acte qu’on n’a pas commis et/ou dont on n’a aucune raison de se sentir coupable parce que ce n’est pas une transgression. Ces deux extrêmes correspondent à deux personnalités. L’une, narcissique, ne se sent jamais coupable de rien, au contraire se sent toujours victime, et s’entend de ce fait à culpabiliser l’autre, c’est-à-dire l’amener à se sentir coupable de tout ce qui se passe de difficile dans la relation. L’autre, souvent névrosée, se sent facilement coupable de ce qui lui arrive de traumatisant et tend à ne pas identifier en quoi elle est victime ; le combat est inégal. Ce que j’ai dit de la culpabilité vaut évidemment pour la victimisation : on peut être victime et ne pas se sentir victime de ce qu’on a subi, comme on peut se sentir victime d’un acte qui n’est transgressif et/ou violent que dans l’imagination du plaignant. »

Contrairement à ce qui pourrait sembler logique, la culpabilité n’est pas forcément ressentie ni portée par le malfaiteur. Elle est endossée par la victime qui, à la base, nourrit un système de culpabilité qui non seulement inverse les rôles mais facilite la dynamique du cycle de la violence.

Moussa Nabati, psychanalyste, explique que « l’enfant, victime de maltraitances, ayant souffert de manque d’affection, demeure convaincu que cette privation est de son fait et de sa faute. Dans son esprit, s’il n’est pas aimé, s’il est rejeté et battu, c’est parce qu’il n’est pas aimable, mauvais par essence, nocif, indigne par conséquent de toute considération. Il se croit de même coupable s’il devient témoin de la souffrance de ses parents, une mère déprimée, un père au chômage ou s’il assiste à leur détresse, disputes et déchirements. Il s’agit également de la répétition du même schéma au sein du couple : le conjoint infidèle tentera, par exemple, de faire porter la culpabilité de son infidélité à son partenaire. Celui-ci sera enclin, de son côté, à se fustiger d’avoir été mauvais(e) amant(e), incapable de combler son compagnon, dans les deux sens du terme, le remplir et le rendre heureux. […] Cette inversion des rôles pousse la victime, l’offensé à battre sa coulpe, à se justifier, à s’excuser, à quémander le pardon, à promettre de se corriger enfin, s’épuisant à devenir parfaite, irréprochable, afin de recouvrer son innocence et sa bonté. »

Le sentiment d’impuissance et l’incapacité à voir le jeu se mettre en place, puis empêcher que la violence ne prenne en puissance renforcent chez le dépendant affectif insécure sa culpabilisation et son sentiment de ne pas être à la hauteur. Certaines victimes évoquent le souvenir qu’elles ont de la violence que subissait leur mère et dont elles étaient témoins. « Tout était là, comme à l’époque, et pourtant c’est un peu comme si je ne voulais ou ne pouvais pas voir. »

La culpabilité ne s’arrête pas le jour où la victime réussit à quitter le foyer. «Que vont penser les autres, et sa famille?» À l’idée de créer peut-être du chagrin à la famille du conjoint violent, c’est encore une bonne excuse pour prendre sur soi. Les croyances sont alors bien plus puissantes que la nécessité de se mettre à l’abri. « Je ne suis pas une balance», «Dénoncer, c’est moche», «Ça ne sert à rien d’avoir la haine», «Il faut savoir pardonner», « Lancer des poursuites contre quelqu’un peut porter malheur. Je vais en rester là », « À l’idée de savoir qu’à cause de moi, il pourrait aller en prison, ça m’est insupportable », « C’est quand même le père de mes enfants. Je ne peux pas leur faire ça (le dénoncer) ». La culpabilité pousse à un nouveau mécanisme de survie : celui de protéger de l’extérieur le récit de l’horreur qui se passe à l’intérieur.

Le dépendant affectif insécure espère au fil du temps que son partenaire prenne conscience de son fonctionnement et qu’il décide de se faire aider pour changer et pour que tout redevienne normal, surtout lorsqu’il y a des enfants…

La culpabilité est d’autant plus grande si la victime est maman et ne parvient pas à protéger ses petits de la violence paternelle. Pour cela, la dépendante affective insécure parvient à sortir les griffes et imposer sa loi : que son conjoint violent ne s’immisce pas dans l’éducation et l’organisation autour des enfants. C’est un bon réflexe de protection et en même temps un excellent levier de chantage et de menace pour le père qui peut menacer de mort les enfants si la mère ne se plie pas à ses volontés.

©Geneviève Krebs, extrait du livre “Quand l’Amour nous fait accepter l’inacceptable : la dépendance affective rend-elle plus vulnérable à la violence conjugale” paru chez Eyrolles en octobre 2022. #25novembre #violencesfaitesauxfemmes #violencesconjugales #dependanceaffective