Les bienfaits du pardon

Il arrive parfois au cours de sa vie de ressentir de la colère, celle dont il est difficile de se débarrasser, celle qui stresse et qui ne laisse aucune tranquilité au fond de soi. La machine humaine est si parfaitement bien faite, qu’au fil des jours, les effets les plus flagrants de la colère diminuent et l’on a cette presque sensation d’apaisement. Et pourtant il n’en est rien. C’est un peu comme si sur une plaie, un pansement avait été posé sans que la blessure soit observée, nettoyée et désinfectée. L’anxiété vient alors se poser en sourdine et les dommages psychologiques et physiques continuer à s’installer.

On aurait fort à gagner à œuvrer pour que l’état d’esprit du pardon devienne un pilier de l’éducation. Pour soi comme pour la société. Que pardonner soit la réaction première devant chaque blessure ou offense ressentie. Se pardonner à soi-même, demander pardon à l’autre, accorder son pardon sont avec l’amour, les bases de la sauvegarde de l’humanité et l’assurance d’un meilleur vivre au quotidien.

Le maintien du non-pardon

Certaines personnes s’attachent au non-pardon comme pour s’assurer que jamais plus la situation n’arrivera, que jamais elle ne partira dans l’oublie ou tout simplement parce que pardonner est au-delà de leurs forces.

Rester dans cet état engendre un sentiment d’injustice et d’insatisfaction qui peuvent aller jusqu’au désir de vengeance. Celui-ci vient tout droit de l’instinct de survie et du besoin de justice. Le danger de la vengeance c’est la violence qui se forge au fil du temps, prise comme dans une spirale de pensées sans fin et de projections d’actions. Plus généralement, c’est ainsi que naissent la plupart des guerres. On se demande parfois pourquoi certains peuples se haïssent depuis des siècles et entrent régulièrement en conflits. La réalité, c’est qu’un peuple a d’une certaine façon humilié un autre et que la mémoire collective œuvre de génération en génération par la transmission des souvenirs, des récits, des blessures. La haine est ainsi entretenue de pères en fils, de mères en filles. Au mieux, si le désir de vengeance n’est plus là, la volonté du souvenir reste si fortement ancrée qu’elle engendre les mêmes effets.

En maintenant ce ressentiment envers l’autre, c’est à soi-même qu’on porte atteinte : à son corps, à ses pensées, à son âme. D’heure en heure, ce sont des moments volés à sa propre existence, en oubliant de vivre sa vie, de la créer, et de suivre sa route.

Le ressentiment et la rancœur sont le pire stress que l’on peut garder en soi. Il est à l’origine de bien des pathologies. Nombre de dépressions viennent aussi de l’amertume, celle qui nous rattache à notre passé, nous déracine de l’ici et maintenant et nous coupent de tous nos projets d’avenir. C’est là que s’installe le présentéisme, cette illusion d’être là sans l’être. Même les moments de lucidité et les événements passent au crible comparatif du souvenir passé.

L’illusion d’avoir pardonné

Il est crucial de savoir ce qu’est ou n’est pas le pardon et d’en comprendre la véritable nature.

Le pardon n’est pas l’oubli. C’est déjà là, lever une barrière importante pour la plupart des gens qui veulent se souvenir. Même la sensation d’oubli est irréelle, puisque c’est uniquement l’inconscient qui a pris l’information pour l’enfuir quelque part où la blessure sera moins douloureuse. Mais elle continue d’œuvrer sur la personne. Si oublier est impossible et ne peut se désinscrire de notre cerveau, le pardon sait agir au niveau de la mémoire émotionnelle (ventre) pour cicatriser et panser la plaie. On se souviendra de l’événement, mais on se sentira détaché, comme si on avait pris de la distance. C’est un peu comme une cicatrice… Sa présence rappelle une blessure, une zone de son corps marquée à tout jamais, mais lorsqu’on le touche, l’endroit n’est plus douloureux.

Le pardon n’est pas non plus un acte immédiat qui agit au moment de la volonté de pardonner. Certaines personnes peuvent culpabiliser de ne pas avoir su se pardonner ou pardonner à d’autres. Parfois par conviction religieuse, elles souhaiteraient se dégager de la rancune et aller immédiatement au pardon. Mais le pardon n’est pas uniquement le fruit de la pensée ou d’une décision. Il est rattaché directement aux émotions, qui elles, engagent tout notre être. Vouloir brûler les étapes de la guérison des émotions, c’est prendre le risque que la plaie s’infecte à nouveau un jour ou l’autre. Il est important d’avancer à son rythme et prendre le temps nécessaire en fonction de l’événement qui nous affecte. La colère est une émotion saine qui nous est donnée comme indicateur de ce que nous ressentons. Si la haine est à blâmer, la colère ne l’est pas. Il faut bien distinguer les deux ressentiments, en les accueillant en soi et en identifiant les effets qu’ils engendrent : désir de se venger (haine), tristesse (colère), etc. Peut-être sera-t-il nécessaire de se pardonner à soi-même avant de pouvoir pardonner l’autre. Tant que la sérénité et le sentiment de paix intérieurs, paix émotive ne se font pas ressentir, le pardon n’est pas complet.

Le pardon n’est pas non plus : « excuser ». Excuser, cela veut dire qu’on ne tient pas l’offenseur pour responsable de ses actes. Une personne qui a agit volontairement est responsable dans la mesure où elle a cherché à faire du mal. Ce n’est pas excusable contrairement à quelqu’un qui aurait fait du mal sans s’en rendre compte et de qui il est possible de recevoir des excuses.

La réconciliation n’est pas non plus synonyme de pardon. C’est une croyance qui elle aussi freine bien des actes de pardon, comme s’il y avait du coup nécessité de reprendre relation avec la personne qui nous a offensée, blessée. Si la confiance a été trahie, bien souvent il est impossible d’installer une relation saine et durable. Si le désir de retour est là, un temps est nécessaire pour regagner, reconstruire et mériter cette confiance perdue. Parfois c’est réalisable et parfois non. C’est une décision à prendre : est-ce que je veux continuer cette relation ? Est-ce que je m’en sens capable sans atteindre le plus profond de moi ? Sinon, elle s’arrêtera, tout simplement. La réconciliation n’est pas systématique. L’important après le pardon, est de ressentir la paix par rapport à l’événement et par rapport à la personne concernée.

Le pardon n’est pas une obligation et ne s’impose pas. C’est un acte d’amour. La personne qui pardonne doit rester libre de son choix. Contraindre une personne à nous pardonner n’engendre pas ce don. Cela voudrait dire : « je veux que tu me pardonnes, malgré toutes les vacheries que je t’ai faite, et tout le mal que tu as pu ressentir. Passe au dessus de tout ça et oublie ».

Geneviève Krebs dans “La Vie en Bleu” avec Marc Grandmontagne sur France Bleu :

pardon pardonner

Le pardon est une affaire de soi à soi-même

Le pardon n’a pas la faculté de changer l’autre. On ne peut pas prendre conscience pour lui, à sa place, même si le pardon ouvre à une énergie particulière et qu’il se passe à ce moment là un acte particulier. Changer de comportement et d’attitude intérieure reste la volonté de chacun. Pardonner ne veut donc pas dire qu’il y aura un changement soudain d’attitude. Même si celui qui pardonne l’attend fortement. Personne n’a de pouvoir sur personne, juste l’illusion. En revanche, nous avons tous le pouvoir sur nous même, en l’occurrence celui de nous libérer, de ressentir la paix, de nous détacher, ou nous rapprocher de l’autre. En fonction des attitudes, il peut y avoir face à nous des réactions différentes. Celles-ci sont des indicateurs qui nous aiguillent sur notre route : est ce que ce que je vis avec l’autre me permet d’être en accord avec moi-même, ou est ce que cela m’éloigne de qui je suis ? Ce n’est pas à l’autre de changer, mais à soi-même de le faire pour rester en cohérence avec soi.

Qu’est-ce que pardonner ?

Pardonner est selon le dictionnaire : “tenir une offense pour non avenue, renoncer à tirer vengeance ou punir”.

Tout le monde est capable de pardonner. Pour y parvenir il y a une part humaine qui œuvre, et pour le tout dernier recours, celui qui donne le courage de franchir le pas, de surmonter sa tristesse, ses angoisses, et tout lâcher pour trouver la paix en soi, c’est une part divine qui vient de la grandeur d’âme en soi.

Comment faire pour pardonner ?

  1. Prendre la bonne décision : le pardon ne viendra pas par enchantement. On prend tout d’abord la décision au fond de soi d’avoir envie de le faire, même si au début, on ne sait pas vraiment comment faire pour y parvenir. On décide ensuite que prendre le chemin de la vengeance ne réglera pas la situation et n’aurait d’autres effets que de se faire davantage mal soi-même. Il est important aussi de prendre la décision du respect de soi ; soit de se faire respecter en demandant à la personne d’arrêter de nous offenser, soit en recadrant immédiatement nos choix vers ce qui correspond vraiment à nos désirs les plus profonds et buts de vie. Entrer en contact avec l’autre pour lui demander le respect demande du courage. Souvent, la réaction première est de vouloir « pardonner » et ignorer la personne et la situation. Vous êtes pourtant suffisamment important pour trouver le courage de vous exprimer et vous faire respecter. Cela ne veut pas dire que la communication se fera d’emblée sur un mode agressif… Juste expressif : dire ce qui est et ce que cela me fait.
  2. Reconnaître que cela nous a blessé tout au fond de nous : lorsqu’on a souffert d’une situation, soit par sentiment d’injustice, de trahison ou autres, notre instinct de survie a tendance à  vouloir après peu de temps nous faire prendre du recul pour éviter d’avoir à revivre la situation, ne serait ce même qu’en l’évoquant. Pour atteindre la guérison de cette atteinte à soi, il est pourtant nécessaire d’entrer à nouveau en contact avec sa blessure intérieure. C’est difficile. Nous avons des mécanismes de défense qui nous permettent de ne pas souffrir. Des personnes peuvent aussi craindre d’entrer en colère et de devoir faire face à leur propre violence. Tout cela fait que l’on court au pardon et au détachement, beaucoup trop rapidement et superficiellement en omettant de respecter ce que l’on ressent au fond de soi (tristesse, colère, frustration, etc.). Pardonner demande le courage d’identifier au fond de nous ce qui a été touché et pourquoi. C’est notre chantier intérieur qu’il faut aborder, et comprendre ce que dans la situation, nous avons perdu, manqué, et quel sera le deuil à faire par rapport aux rêves et aux attentes que nous avions posés dans la situation. Et plus profondément encore, au niveau même parfois de notre identité, ce qui a été touché de notre intégrité, de nos valeurs. Prendre conscience et pleurer permet de lâcher. Comprendre qu’il s’agit heureusement qu’une partie de nous qui a été touchée peut rassurer et soulager.
  3. Exprimer sa souffrance : il ne s’agit pas là d’exprimer en disant du mal de l’autre, pensant ainsi nous libérer du poids de notre blessure. Il s’agit de parler des faits et de ce que cela nous a fait. De poser des mots sur notre souffrance auprès d’un ami, d’un parent, d’un professionnel, ou soi avec soi-même en inscrivant quelques lignes sur un cahier. Le pardon total est impossible tant que notre être intérieur n’a pas ressenti la guérison. La plupart du temps, parler à quelqu’un permet de soulager, de comprendre et d’agir en profondeur. Nous avons tous en nous une intelligence réparatrice, régénératrice. Un divin en chacun de nous. Attendre trop longtemps pour le faire aggrave la situation et le pardon devient alors de plus en plus difficile.
  4. S’ouvrir au pardon : une fois la guérison interne déclenchée ou installée, on sent que notre cœur est prêt pour pardonner. En réalité, on ne pardonne pas aux autres, on devient prêt pour accueillir l’énergie de pardon, comme pris par cette énergie divine qui nous l’inspire. Si au début, on ressentait l’envie et la volonté de le faire, à cette étape, on se sent investi par un amour inconditionnel, déjà celui de s’aimer soi-même.

Violence, humiliation, trahison, perte, etc. Même si l’on a beaucoup souffert, il est libérateur de pardonner. Pour soi déjà. Surtout lorsqu’il s’agit de se délivrer de la haine et de ressentiments qui risquent de faire encore plus mal que le mal initialement subi. Le pardon permet aussi de sortir de ce rôle de victime, de prendre la responsabilité de ce que l’on veut réellement pour soi et agir en conséquence. Et si la consolation reçue en racontant son histoire est appréciable, il n’est pas sain à long terme de se contenter de ce type d’amour-là. Rien ne viendra jamais assouvir le besoin d’amour que l’on peut ressentir en soi, si ce n’est l’amour que l’on se porte à soi-même.

Une libération pour soi

En pardonnant c’est aussi la liberté que l’on ressent, le sens que l’on trouve à tout ce que nous avons vécu et à quoi cela nous a servi. L’indicateur le plus juste est, quand le récit se fait, et qu’il ne se passe plus rien à l’intérieur. Juste une écoute, une observation de loin et la fierté d’avoir accompli quelque chose de difficile : franchir le long chemin pour arriver jusqu’au pardon. Ce n’est certes pas une recette infaillible, mais ces étapes peuvent aider à y parvenir :

–          Décider de ne pas se venger ;

–          Reconnaître sa blessure ;

–          Partager ses constats avec quelqu’un ;

–          Bien reconnaître sa perte et en faire le deuil ;

–          Accepter sa colère et le cas échéant son envie de vengeance ;

–          Se pardonner soi-même ;

–          Commencer à comprendre son offenseur ;

–          Trouver le sens de sa blessure dans sa vie ;

–          S’il y a blocage, cesser de s’acharner à vouloir pardonner ;

–          Se sentir digne et capable de pardonner … et le faire le moment venu ;

–          Décider de mettre fin à la relation ou la renouveler.

Est-ce que tout cela ne vous ferait pas le plus grand bien ? Peut-être n’est-ce pas encore le moment … Ce n’est pas pardonnable ? Est-ce que cela vous concerne à 100% ? “La chose” à pardonner n’est-elle pas trop grande à aborder à vous tout seul ? Je vous souhaite le meilleur dans votre quête du pardon.

Geneviève Krebs, copyright 2014